1874, rue Naudou, Paris. Dans les locaux du photographe
Nadar a lieu la première exposition Impressionniste. Elle est l'aboutissement
de décennies de contestation du pouvoir académique par des artistes conscients
que leur pratique ne vaut que si elle se remet en cause. Acte fondateur, ce
salon marque la naissance de l'Art moderne, ouvrant grand la porte aux Fauves
et aux Cubistes, à l'Abstraction et au Surréalisme. Il est le manifeste d'un
mode de pensée qui veut que la peinture ne soit pas un simple objet décoratif,
vecteur occasionnellement d'un message sous-jacent, mais un moyen d'expression
visuel total.
La peinture
est un exemple de ces arts qui, chacun au
cours de leur histoire, ont eu à subir une révolution à même de saper leurs
fondations afin que naissent de leurs ruines non plus un simple tronc, mais une
frondaison, une multitude de branches démontrant leur vivacité et l'implication
qu'ils peuvent susciter en chacun de leurs acteurs.
Alan Wake a
su créer l'attente auprès de la communauté des gamers non pas par ses promesses de gameplay innovant, ni
son aspect technique particulièrement léché, mais pour le thème qu'il
aborde : la paranoïa naissant du processus créatif de l'écrivain et
pouvant, insidieusement, affecter sa vie au point qu'il ne différencie plus le
réel de l'imaginaire. Sujet cher à Stephen King, dont l'ombre plane au-dessus
du jeu sans jamais prendre son envol, il vaut particulièrement pour la mise en
abîme réflexive qu'il entraîne. Une vue de soi-même nécessitant la mise à plat
de certaines idées afin d'en tirer matière à procédure.
La
personnalité du romancier prévaut, puisque
c'est dans sa psyché que le lecteur fraiera tout au long de l'aventure. Dans
ses réflexions personnelles, ses relations aux autres, ses choix et décisions
résident les clés de compréhension de l'œuvre et les leviers qui feront de
l'univers ainsi créé une scène crédible à la limite des deux mondes. Le
processus de mise en place du décor s'en voit d'autant plus rallongé et
approfondi.
Un
épanchement de temps et de moyen que Remedy n'a semble-t-il pas pu sepermettre. La gestation d'Alan Wake aura
souffert de nombreux aléas, retards comme changements d'orientation. Le bébé
sera né cinq ans après son annonce, son gameplay réduit au
minimum syndical du shooter mainstream.
Et l'amateur de littérature de gare comme le joueur avide de progrès de
déchanter. Car si la narration est de qualité, elle n'en masque pas moins des
lacunes rédhibitoires : héros ébauché à grands traits, personnages
secondaires tout juste effleurés, intrigue confuse... Et si le background se voit étoffé par des écrits disséminés au hasard
du jeu, ils n'en restent pas moins des satellites gravitant à la lisière de
l'expérience, ne l'influençant qu'en biais.
C'est là le
problème essentiel d'Alan Wake, comme de
nombreux jeux mettant l'accent sur la scénarisation : le conflit opposant
narration et gameplay. L'incarnation du héros inhérente au médium
- et le justifiant - semble réduire les possibilités narratives à des à-côtés (cut-scene, documents divers...) sur lesquels le protagoniste n'a
aucune emprise. Et tout comme certaines scènes annihilent le suspension
of disbelief nécessaire à l'immersion dans
les œuvres de fiction, ce passage de la première personne à la troisième brise
le cadre de la personnification au risque de perdre l'implication du joueur.
Où s'arrête
le jeu ? Où commence le livre ? Alan Wake est un cas d'école de ces
créations vidéoludiques annoncées - et attendues - comme des (r)évolutions et
qui, par une frilosité créative que les lois du marché ne doivent pas apaiser,
en sont réduites à des œuvres dénuées de prises de risque comme d'originalité.
Prisonnier d'un carcan formel qu'il s'est lui même créé, le jeu vidéo se doit
de résoudre certains de ses paradoxes s'il veut un jour être considéré comme
autre chose qu'un simple produit culturel.